Agriculteurs en colère : Une prise de conscience collective est nécessaire
Ces dernières semaines un vent de colère s’est levé dans les territoires ruraux de toute la France. Les Deux-Sèvres n’ont pas fait exception et l’on a pu voir un grand nombre d’actions « coup de poing » mises en place par des agriculteurs souhaitant faire pression sur un État centralisé et loin de la réalité du quotidien des travailleurs de la terre. Ce combat est légitime et je le soutiens en tant qu’agriculteur bio et élu local. Je regrette néanmoins que des actions violentes et un grand nombre de dégradations aient été perpétrées pour que le monde agricole puisse faire entendre des revendications légitimes, tues depuis bien trop longtemps.
Il existe en France une grande diversité d’exploitations, différents types d’agricultures y sont pratiqués, mais partout le même constat : le travail ne rémunère plus assez les producteurs et éleveurs. En cause, de nombreux facteurs structurels et économiques qui ont mené à une concurrence effrénée entre les agriculteurs et éleveurs du monde entier. Tant et si bien qu’aujourd’hui, dans de nombreuses filières, les coûts de production dépassent les prix proposés par les industriels. Malgré les aides de la PAC (Politique Agricole Commune), l’inflation des coûts de l’électricité, l’envolée du prix des intrants et l’augmentation du prix du carburant agricole font exploser les charges des exploitations, même pour les plus vertueuses en matière environnementale. En effet, de nombreuses exploitations ont entamé une mutation de leurs pratiques, notamment dans la réduction des usages des machines agricoles, la réduction des intrants chimiques, en agriculture biologique notamment, mais aussi en agriculture de conservation des sols, et bien sûr, en agriculture conventionnelle également, nécessité faisant loi.
Cependant, une telle crise agricole révèle un problème plus profond, qui engage la société toute entière. Chacun de nous a le pouvoir d’influer sur le cours de notre agriculture et la juste rémunération des agriculteurs. Lors des périodes de confinement, la question alimentaire est devenue centrale dans le cœur des français qui se sont rendus en masse chez les producteurs locaux pour s’approvisionner. Deux ans plus tard, le constat fut sans appel, cet engouement n’a pas duré longtemps et de nombreuses exploitations qui proposaient des magasins à la ferme, des paniers, des cueillettes ont vu cette clientèle disparaître, pour retourner dans les circuits de la grande distribution.
Les produits locaux, les circuit-courts, les magasins à la ferme, les marchés de bourg ont progressivement perdu l’affluence qu’ils avaient suscité lorsque la santé de tous était en jeu, lorsque notre subsistance dépendait des agriculteurs proches de nous, lorsque la peur dominait nos consciences. La moutarde et l’huile de tournesol sont venues à manquer. Jamais les producteurs d’huile à la ferme n’ont eu autant de demandes, jusqu’à la rupture. La peur, la réduction des échanges internationaux, nous ont impacté directement, sur tous les territoires. Les agriculteurs sont redevenus une pièce centrale dans le fonctionnement de la société et cette prise de conscience semblait être acquise.
Il est nécessaire aujourd’hui d’engager l’ensemble des consommateurs et des acteurs du territoire dans la défense de notre souveraineté alimentaire, rémunératrice pour les agriculteurs et les éleveurs. La restauration collective dans les écoles, les ehpad, les administrations et les entreprises peut à elle seule soutenir un grand nombre d’exploitations déjà engagées dans cette volonté de produire pour le territoire.
Cependant la décision est politique et économique lorsqu’il s’agit de soutenir par la commande publique, les producteurs locaux. Des choix tournés vers la production locale, sans tomber dans une dérive « localiste » et protectionniste aveugle, sont à mettre en œuvre à tous les échelons de décision publique si l’on veut offrir un avenir désirable à la profession agricole et assurer des emplois durables dans un secteur constitutif de l’identité de notre territoire.
L’engagement des entreprises dans la défense des productions agricoles locales peut faire partie d’une politique RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) avec pour perspective d’accompagner le développement de systèmes entrant dans le champ de l’ESS (Économie Sociale et Solidaire). Ces pistes sont à étudier au cas par cas, l’engagement du monde économique en faveur des grands enjeux sociétaux peut permettre de dépasser les limites de la puissance publique en ces affaires. Une chose est sûre, c’est collectivement que nous pourrons pérenniser notre vivre ensemble, et plus prosaïquement notre survie alimentaire.
Petites et moyennes exploitations familiales ou collectives ont déjà amorcé l’évolution de leur offre à destination des consommateurs en circuit-court. Les magasins de producteurs, les épiceries locales, les marchés fermiers, portent l’idée qu’un autre modèle est possible, rémunérateur pour les producteurs et accessible pour les consommateurs. Il en va de la survie de nos exploitations et du bon sens le plus élémentaire de tourner nos efforts vers la production locale. La question du coût immédiat est évidemment centrale, et l’inflation du prix de denrées alimentaires impacte les budgets de toutes et tous, mais nous devons penser aux impacts positifs d’un tel choix et la garantie à moyen et long terme de pouvoir nourrir les populations du territoire sans dépendre d’un trop grand nombre d’importations. Les externalités positives des circuit-courts sont nombreuses, développement d’emplois non délocalisables, retombées d’impôts sur le territoire, réduction des transports routiers, développement des marchés de plein-air et des commerces de proximité, et finalement garantie d’une stabilité des prix et de la qualité de notre alimentation. Manger local sauvera notre agriculture et nos agriculteurs. Élus et citoyens, il est grand temps de passer des promesses aux actes.
Pour passer à l’étape suivante, il est essentiel de créer les structures économiques adaptées à nos problématiques. Par la constitution de coopératives agricoles gérées par et pour les agriculteurs, par la mise en place de réseaux de distribution locaux indépendants, par une pratique de libre fixation des prix par les producteurs constitués en entités économiques cohérentes, par l’engagement des consommateurs dans la chaîne d’approvisionnement, par le re-déploiement d’actions de rencontre entre les producteurs et consommateurs (comices agricoles, fêtes rurales, marchés annuels, fêtes des battages…) Les idées sont nombreuses et seules des communautés de citoyens peuvent à ce jour initier de telles dynamiques. Les politiques publiques dépendant de trop d’intérêts antagonistes, il est plus prudent de se tourner vers l’épargne citoyenne et l’engagement des entreprises et partenaires afin de déployer ces initiatives innovantes. Les initiatives innovantes existent dans diverses filières agricoles, elles forment l’embryon d’une révolution des modèles agricoles et économiques. L’impératif de la défense de notre environnement, de nos emplois et de notre souveraineté alimentaire nécessite la massification de ces initiatives.